Passage de la ligne le 7 novembre 1977- Mission Sargasse V

S'il me reste quelques souvenirs, certains passages ont complètement disparu de ma mémoire ou se sont un peu émoussés voir mélangés chronologiquement. Je mettrai à jour ce récit et le compléterais avec les précisions apportées par vos souvenirs personnels que vous ne manquerez pas d'écrire à la suite de ces messages !

Bien avant le départ de Brest pour la mission, les anciens ont commencé à nous mettre la pression. J'aurai du dire « les Dignitaires », ceux qui ont déjà été baptisés par Pompilius, Evêque de la mer, en présence de Neptune, dieu de la mer et d'Amphitrite son épouse. En effet certains anciens n'avaient jamais passé la ligne. Les officiers en général avaient été baptisés par leurs pairs lors de leurs sorties en école, souvent sur la « Jeanne d'Arc ».
Les dignitaires nous racontaient avoir subit mille maux sous la hargne de ceux qui exécutaient la sentence prononcée par Neptune après que l'avocat « à charge » ait annoncé les griefs qui nous étaient reprochés !
Mais cela n'était que la fin de cette journée mémorable, cela devait commencer la veille avec la remise d'un courrier officiel par le facteur de la ligne, Sans doute un des moment les plus durs à vivre. Ils amorçaient en nous des craintes mais ne lâchaient rien sur le déroulé des cérémonies. Les regards entendus entre eux ne nous laissaient rien présager de bon.

Les premiers jours de mer, on en parlait peu mais plus nous approchions des tropiques et de plus en plus de bruits de couloir parvenaient à nos oreilles. Le moindre manquement de respect à un dignitaire, un effleurement d'épaule et les menaces fusaient. « C'est comment ton nom ? » Certains avaient de petits carnets dans lequel ils notaient un motif futile suivit de notre nom. Deux, trois ou quatre petits signes « +» à la fin de l’annotation signifiait la hauteur de la sentence qui serait demandée.
Nous approchions de la date fatidique sans vraiment savoir ce qui nous attendait. Les craintes se lisaient sur le visage de certain. Pour ma part, je ne me rappelle pas avoir été trop inquiet. Je m'attendais bien sûr à être « servi » car bien connu à bord et pas le dernier à faire des blagues aux autres.

Jour 1 le facteur :

Nous quittons Fortaleza le 6 novembre, il me semble. Je n'ai pas souvenir de l'installation de la piscine sur la plage arrière, construction pourtant conséquente à grand renforts de madriers et de bâches, En fin d'après midi, le bruit commence à se faire entendre que le facteur est en cours de distribution sur le navire. Il a du commencer par l'avant car nous ne le voyons arriver sur le poste 5 à l'arrière qu'en toute fin d'après midi, Avons nous été remplacés à notre poste de travail pour recevoir la convocation, je n'en ai plus souvenir. Mais tout le monde y passera ...sauf un.
Le bruit avait couru à bord qu'un officier n'avait jamais franchi la ligne, Cet officier ne semblait pas être très apprécier car beaucoup de dignitaire se faisaient un plaisir de le voir passer entre leurs mains. Mais la nouvelle de sa consigne en chambre nous est arrivée par radio coursive. Il n'y aura pas gagné en prestige ce jour là,
Nous nous retrouvons au poste de mécanos, Quatre ou cinq gars descendent l'escalier, L'un est tenue de fusilier d'après mes souvenirs, c'est le gendarme qui appellera les néophytes pour recevoir leurs convocations. Un deuxième est équipé d'un pantalon de sortie mais bizarrement le pont se retrouve sur son postérieur et celui encadré d'une boite, c'est la boite à lettres. Un troisième est là avec un seau et une « balayette à chiotte ».
L'appel se fera par ordre alphabétique hurlé par le gendarme. Nous ne savons pas ce qui se passe dans le carré car nous sommes parqués au fond du poste à attendre notre tour. Nous entendons des cris, des rires et parfois un peu de bousculades et de jurons, La tension monte, Ceux qui sont passés ressortent par l'escalier direction le pont.
L'attente est longue, "N" est situé loin dans l'ordre alphabétique, Quand mon nom est braillé, je ne sais si j'étais soulagé de ne plus attendre ou effrayé de passer ce mauvais quart d'heure. J'arrive dans le carré et là je vois un cul apparaissant par le pont baissé du pantalon, Mais ce cul est barbouillé d'un truc qui fait fortement penser à de la « merde ». Je vois le seau, il est à demi rempli par un mélange d'épinards et de bouts de spaghettis. Je comprend comprenons rapidement que cette mixture est censée représenter une diarrhée parsemée de morceaux de vers solitaires. Le propriétaire du cul avait à première vue, été soigneusement choisit pour le coté boutonneux de son postérieur et sa surface de chaire importante.
Le gendarme me montre la convocation qu'il replie ensuite précautionneusement plusieurs fois jusqu'à ne faire qu'un petit bout de papier de 3 cm de long sur 1 cm environ. Il le prend ensuite  et le coince assez profondément entre les fesses du gars penché devant devant moi en appuis sur la table du carré. Le gars avec le seau  fait vigoureusement tourner sa balayette dans le récipient et la remonte le long du bord afin d'y garder un maximum de produit puis la colle contre le fessier cachant sous une bonne épaisseur d'épinards la convocation.
A ce moment le gendarme m'explique clairement que je dois aller chercher ce papier avec la bouche, Je n'ai que deux choix, soit je prend le papier seul, soit se sera par la force. Je choisis la première proposition et j'enfouis mon visage entre les deux sphères du collègue à la recherche du fameux papier. Des gars me tiennent les bras dans le dos afin que je ne sois pas tenté par une recherche manuelle. Ce n'est pas simple car le papier est bien enfoui et la balayette passe régulièrement remettre un peu d'épaisseur, Dieu que le temps à été long, il m'a fallu chercher de longues minutes sous les rires et quolibets dans cet infâme mixture qui à cette place prenait presque le goût et l'odeur  d'excréments. Je trouve enfin le papier et ressort piteusement, Je me précipite vers l'escalier car mon estomac ne veux plus retenir ce qu'il contient. Je n'arriverai pas en haut, à mi-chemin, je vomis tout ce qu'il contenait tout en continuant à sortir. Libéré, je rejoint les copains déjà passés, avec à la main mon bout de papier récupéré dans le vomis. Ce sera tout pour ce soir. Je suppose que nous avons du nettoyer tout ces déchets vomitifs, je n'ai aucun souvenir de la soirée !
Voici la seule image que j'ai de ce terrible moment. Il me semble qu'elle est de Jean Michel Parreau !

Je joint quelques photos pour patienter en attendant la suite :
Nous découvrons le lendemain que tout avait été rigoureusement organisé ! Voici quelques déguisements que j'ai pu "capter" !

Notre copain Babar avec un second je crois.

Les sauvages

Le second maître ROPARS.

Les boulangers

Jour 2  :
Nous y voilà, c'est le grand jour. Dès le lever nous sommes dans l'ambiance, Nous devons nous habiller en tenue d'hiver, chemisette, pull et caban, Certains de nos déplacements à bord du navire se font en groupe et en marchant en canard.
Le journée a été intensive, je n'ai pas tout retenu de ce qui s'est passé aussi je compte sur vous pour compléter où corriger mes souvenirs,
Dans la matinée nous somme dirigés vers la plage avant. Nous avons quitté la tenue d'hiver pour le maillot de bain, a quel moment, je ne sais plus. Nous nous retrouvons à une bonne cinquantaine de matelots agglutinés tout au bout de plage avant. Un câble est tendu des superstructures jusqu'au pont avant. Nous voyons les dignitaires postés sur le pont du lance roquettes nous regarder hilares.

Puis nous voyons descendre le long du câble, Amphitrite déesse de la mer. Cette vision est assez hallucinante car je ne m'attendais pas à des mises en scènes aussi aboutie. Une fois arrivée sur l e pont il me semble que c'est Neptune qui a déclaré  le début des festivité.
Pour laver les matelots impies que nous étions de nos pêchés, il fallait bien un ouragan, Nous eûmes droit à une tempête tropicale, Les gars goguenards que nous avions vu devant le lance roquette était là pour pour ca ! D'un coup surgirent de deux lances à incendie braquées sur nous, des jets vivifiants d'eau de mer et en quelques secondes nous nous sommes retrouvé trempés, Nous pensions que c'était fini mais le jet repris plus cinglant cette fois ci, Au début nous n'avons pas compris et c'est en regardant le sol que nous avons aperçu pois chiches et lentilles, Les gars la haut lançaient à tour de bras des légumes secs dans le jet de la lance. Nous avons vite présenté nos postérieurs à la furie tropicale afin de nous protéger. Quand le jet s'est arrêté quelqu'un a lancé l'idée de se mutiner, nous avons ramassé ce que nous pouvions de légume secs et les avons renvoyés rageusement à leurs propriétaires. C'était un super moment de plaisir, de rigolades, Toutes les personnes présentes étaient dans la joie et c'est un des rares moment où j'ai pu voir l'ensemble de l'équipage dans une telle communion. Cela forge un esprit de camaraderie, Je l'ai encore très présent en moi.

Pour illustrer, une photo du Lorrain de Patrice Woehrie


Le souvenir suivant pour moi arrive au moment du repas. J'ai un vague souvenir d'avoir mangé dans mon plateau à terre. Les couverts étaient interdits et nous devions manger les mains dans le dos. Les dignitaires nous ont prévenus, nous devrions nous présenter au baptême tels que nous sortions de la cafétéria. Au début nous n'avons pas compris puis un premier gars s'est retrouvé le nez dans sa purée, D'autres « sévices » ont suivi Les petits carnets étaient de sortie pour noter l'état dans lequel étaient le néophytes à la sortie de la « cafét ». Il nous était interdit de nous laver, les traces de purée sur le corps et le vêtements étaient notés ou tout du moins faisaient ils semblant de le faire.
Lagier

Sauvaget

Sauvaget Picquet


Le souvenir suivant est le baptême lui même, Avant de passer au tribunal, nous devons passer devant les infirmiers, Une pompe à graisse fait office de seringue pour nous désinfecter les boyaux au bleu de méthylène, pour l'extérieur ce sera éponge et un mélange d'eau et de « mercurochrome ».
Alain

Alain


Nous ne savons pas ce qui ne attend et c'est au moment ou nous sommes appelés que nous découvrons ce que subissent les gars devant nous.



Nous arrivons devant Pompilius, Neptune et Amphitrite. Nous devons nous prosterner devant eux et lécher les pieds d'Amphitrite qu'elle sort d'une bassine dans laquelle se trouve un mélange à base de nivaquine.



Puis notre avocat annonce ce qui nous est reproché à bord. Pour moi ce fut : « Préfère distiller de l'alcool dans son bouilleur que de l'eau de mer ». Il y a palabre et la sentence tombe : Cinq!


Cinq  tours à faire ! Je devrai faire cinq fois le circuit de pénitence !



Cela commence par la communion. Le cul profondément enfoncé dans une poubelle où flottent des épluchures de légumes, nous recevons l'hostie que contrairement à la vraie nous devons croquer, Cette hostie était composée de farine d'eau et de … nivaquine. Le goût de ce médicament contre le paludisme était infecte. Nous devions en avaler un cachet tous les matins et pour ce faire nous le jetions loin dans le fond de gorge pour ne pas avoir le goût dans la bouche. Là il fallait le croquer, celui qui l'avalait rapidement était resservit !



Une fois passé ce premier désagrément nous sommes hissés sur le bord de mer que symbolise la piscine pour passer chez le barbier.Assis sur un des cotés, nous sommes barbouillés de savon à barbe à de de de ? Nivaquine. Nous en avons plein la bouche et les narines et pas le temps de reprendre la respiration que nous sommes envoyé dans le territoire des sauvages : La piscine !



Quatre gars sont là qui vous prennent chacun par un bras ou une jambe et après un petit passage dans les airs vous envoie directement dans les profondeurs des abysses. Je sais nagé mais je peux vous dire que le temps sous l'eau était long. Cinq, ce n'était pas cinq tours du circuit mais cinq plongeons. J'ai nettement ressenti être bien servi mais curieusement je l'ai presque ressenti comme une reconnaissance, Je n'étais pas n'importe qui à bord.
Je reprend un peu d'air mais pas pour longtemps.  Les quatre sauvages me sortent de l'eau et m'évacuent tête la première vers une planche toboggan sur un coté de la piscine.




 Je n'ai plus mon slip de bain qui s'est trouvé arraché chez les sauvages. Je suis interrompu dans ma glissade par les boulangers qui m'enduisent le corps de « je ne sais quoi » avant d'y appliquer une couche de farine, puis une deuxième en insistant particulièrement sur les zones pileuses ! Je me retrouve ainsi à la sortie du baptême blanc comme neige.
Voilà, j'arrive à la fin de ce fameux baptême, Il ne reste plus qu'à se laver, Tous les circuits d'eau potable ont été coupés et les douches condamnées. La seule manière de se laver est d'utiliser les lances à mousse alimentée en eau de mer disposées sur le cotés de l’affût et de gratter, gratter pour enlever la pâte à pain dans les cheveux et poils de « cul », Mais pas pour moi, eh oui, c'est moi qui fournit l'eau douce à bord, j'ai donc eu un accès privilégié à l'eau douce.
Vous pouvez voir sur l'image de Pompilus, Neptune et Amphitrite les gars qui se lavent en fond !

Voilà, à la suite de cette journée j'ai reçu mon certificat de passage de la ligne.

Deux photos données par Christian Verger prisent lors du passage du facteur (sur le commandant Rivière et qui en disent long sur ce moment !